LE VER RONGEUR DES SOCIÉTÉS MODERNES, ou le paganisme dans l'éducation, par Mgr GAUME

Nouvelle édition entièrement recomposée, enrichie de notes savantes, qualité 3, 272 page, 14,5 x 20 : 25,00 €

CHAPITRE PREMIER
POSITION DU PROBLÈME.

a

fin de rendre palpable la vérité de ma proposition, je laisse de côté tous les raisonnements abstraits, toutes les théories métaphysiques ; je me contente d'invoquer un petit nombre de faits éclatants et d'une signification incontestable.

Premier fait.

— Excepté quelques actes de désobéissance inévitables, même dans des enfants bien nés, on voit pendant toute la durée du moyen âge l'Europe se montrer pleine de respect et de soumission pour l'Église. Chrétienne dans sa foi, dans ses mœurs publiques, dans ses lois, dans ses institutions, dans ses sciences, dans ses arts, dans son langage, la société développait tranquillement ces belles et fortes proportions qui l'approchaient chaque jour de la mesure du Christ, type divin de toute perfection.

Second fait.

— Avec le quinzième siècle, l'empire souverain du catholicisme s'affaiblit. L'antique union de la religion et de la société est ébranlée. Jusque-là si vénérée, la voix paternelle des pontifes romains devient suspecte ; la majesté de leur pouvoir s'efface comme une grande ombre ; la soumission filiale des rois et des peuples diminue : la société sent naître dans son cœur un funeste désir d'indépendance : tout annonce une rupture.

Troisième fait.

— Le seizième siècle est à peine commencé, que de la cellule d'un moine allemand une voix s'élève, puissant organe des pensées coupables qui fermentent dans les âmes; cette voix dit : Nations, séparez-vous de l'Église catholique, fuyez de Babylone ; peuples, brisez les lisières de votre longue enfance, désormais vous êtes assez forts, assez éclairés pour vous conduire vous-mêmes. La voix est écoutée avec une faveur qui étonne encore aujourd’hui. Dans la plus grande partie de l'Europe, on vit la société accuser sa mère de superstition et de barbarie, abjurer ses doctrines, mépriser ses plus grands hommes, brûler tout ce qui portait l'empreinte de sa main sacrée, et renverser ou mutiler comme des monuments d'ignorance, d'esclavage et d'idolâtrie, les temples et les édifices où les siècles précédents avaient si magnifiquement abrité leur foi, tout en immortalisant leur science et leur génie.

Quatrième fait.

— Cette incroyable rupture n'a pas été un accès passager de vertige : elle dure encore. Ni les angoisses, ni les humiliations, ni les mécomptes, ni les catastrophes, ni les calamités de toute espèce n'ont pu ramener l'enfant prodigue au giron maternel. Loin de là, son éloignement pour l'Église est allé en augmentant ; il s'est changé en haine, en haine toujours vivante, toujours agissante ; si bien que, depuis trois siècles, l'Europe ne semble savoir faire que trois choses, mais elle les fait avec une perfection désespérante : dépouiller l'Église, enchaîner l'Église, souffleter l'Église. Aujourd'hui, arrivée au paroxysme de la passion, l'antique fille du catholicisme n'a plus d'autre cri de ralliement que ces mots horribles répétés sur tous les tons, de l'Adriatique à l'Océan, et de la Méditerranée à la Baltique : Le Christianisme nous pèse, nous ne voulons pas qu'il règne sur nous ; qu'on l'ôte, sa vue seule nous est insupportable.

Cinquième fait.

— Depuis que dure cet égarement, l'Église n'a pas changé. Avant comme après, elle est la même : aussi bonne, aussi sage, aussi dévouée. En face des douleurs de la société, elle n'est restée ni oisive ni muette. Jamais, peut-être, sa maternelle tendresse ne déploya une sollicitude plus universelle, un zèle plus infatigable. De son sein perpétuellement fécond, sortirent au quinzième siècle trente-cinq ordres ou congrégations religieuses ; au seizième, cinquante-deux ; au dix-septième, quatre-vingt-dix. Tons ces grands corps, manœuvrant comme un seul homme, rendaient incessante son action sur la famille et sur la société, du nord au midi de l'Europe. Depuis saint Vincent Ferrier jusqu'à saint Vincent de Paul, des saints nombreux ont étonné le monde par I'héroïsme de leurs vertus et montré aux plus aveugles que l'Église romaine n'a pas cessé d'être l'incorruptible épouse du Saintdes saints, la mère de tous les hommes vraiment dignes du nom de grands : Alma parens, alma virûm. De leur côté, ses admirables docteurs, depuis Bellarmin jusqu'à Bossuet, ont prouvé qu'elle est toujours la source de la lumière et du savoir. Continué dans toute la majesté de sa force par Ies souverains pontifes et par les conciles, l'enseignement catholique a depuis longtemps réduit en poudre et le principe protestant, et les vains motifs qui servirent de prétexte à la rupture, et tous ceux qui, plus tard, ont été inventés pour l'entretenir. Or, ni les démonstrations, ni les avertissements, ni les bienfaits, ni les supplications, ni les larmes, ni les efforts de tout genre, n'ont pu toucher la société européenne, ni renouer l'antique alliance qui unissait la fille à la mère.

De ces faits, que personne ne niera, résulte évidemment la conclusion suivante : « Depuis quatre siècles, il y a en Europe un élément nouveau, un élément de plus ou un élément de moins qu'au moyen âge ; et cet élément forme un mur de séparation toujours subsistant entre le christianisme et la société. » Quel est cet élément ? où est-il ? C'est ce que nous allons chercher.

TABLE DES MATIÈRES

LETTRE 5
AVANT-PROPOS. 7
CHAPITRE PREMIER POSITION DU PROBLÈME. 15
CHAPITRE II. ÉTUDE DU PROBLÈME. 19
CHAPITRE III. SOLUTION DU PROBLÈME 27
CHAPITRE IV. RÉPONSE A LÀ PREMIÈRE OBJECTION. HISTOIRE DES LIVRES CLASSIQUES : PREMIÈRE ÉPOQUE. 35
CHAPITRE V. SUITE DU PRÉCÉDENT. 55
CHAPITRE VI. SECONDE ÉPOQUE. 63
CHAPITRE VII. TROISIÈME ÉPOQUE. 86
CHAPITRE VIII. SECONDE OBJECTION : TÉMOIGNAGE DES HOMMES. 91
CHAPITRE IX. SUITE DU PRÉCÉDENT. 99
CHAPITRE X. TÉMOIGNAGE DES FAITS. INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LA LITTÉRATURE. 109
CHAPITRE XI. SUITE DU PRÉCÉDENT. 119
CHAPITRE XII. INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LE LANGAGE. 141
CHAPITRE XIII INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LES ARTS. 151
CHAPITRE XIV. SUITE DU PRÉCÉDENT. 160
CHAPITRE XV. INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LA PHILOSOPHIE. 171
CHAPITRE XVI. SUITE DU PRÉCÉDENT. 181
CHAPITRE XVII. INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LES SCIENCES. 192
CHAPITRE XVIII. SUITE DU PRÉCÉDENT. 199
CHAPITRE XIX. INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LA RELIGION. 209
CHAPITRE XX. SUITE DU PRÉCÉDENT. 217
CHAPITRE XXI. INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LA FAMILLE. 230
CHAPITRE XXII. SUITE DU PRÉCÉDENT. 238
CHAPITRE XXIII. INFLUENCE DU PAGANISME CLASSIQUE SUR LA SOCIÉTÉ. 249
CHAPITRE XXIV. SUITE DU PRÉCÉDENT. 261
CHAPITRE XXV. SUITE DU PRÉCÉDENT. 271
CHAPITRE XXVI. NÉCESSITÉ DES CLASSIQUES CHRÉTIENS. — RÉPONSE AUX OBJECTIONS. 284
CHAPITRE XXVII. CONTINUATION DE LA RÉPONSE AUX OBJECTIONS. 304
CHAPITRE XXVIII. FIN DE LA RÉPONSE AUX OBJECTIONS. 321
CHAPITRE XXIX. PLAN D'UNE BIBLIOTHÈQUE CLASSIQUE CHRÉTIENNE. 332
CHAPITRE XXX. AVANTAGES PARTICULIERS DE CETTE BIBLIOTHÈQUE. 341
ÉTUDE SUR Mgr GAUME. Ses Œuvres — Son influence — Sa polémique. 353