LE PROCES DE JEANNE D'ARC, et son procès de réhabilitation, traduit par le R.P. Dom H. LECLERCQ édition originale entièrement recomposée, qualité 3, 1 volume 14,5 x 20, 256 pages : 20 € Réédition de l'ouvrage paru en 1906. L'auteur a eu l'habileté d'insérer les dépositions des témoins du procès de réhabilitation de 1456, au milieu du procès d'accusation de 1431, si bien que le lecteur prend plus d'intérêt à suivre se procès, et surtout se rend mieux compte de l'incroyable malice et des mensonges inouïs des accusateurs de Jeanne. Tous pleurèrent en la voyant brûler, y compris l'infâme évêque de Beauvais, Pierre Cauchon. Les témoignages historiques de tout ceux qui vécurent auprès de Jeanne sont bouleversants. Les réponses de Jeanne sont admirables, et ne peuvent laisser indifférents tout ceux qui aime le Royaume des Francs qui est le Royaume de Jésus-Christ. Extraits de l'ouvrage : NEUVIÈME SÉANCE DU PROCÈS : 22 FÉVRIER 1431.
Deuxième interrogatoire public.
[Le jeudi 22 février, dans la chambre de parement, au bout de la grande salle du château ; 47 assesseurs siègent à côté de l’évêque.] CAUCHON : Révérends Pères, Docteurs et Maîtres, frère Jean Lemaître, vicaire de l’Inquisition, présent à l’audience, a été par nous sommé et requis de s’adjoindre au procès ; à l’offre de lui communiquer tous les actes, ledit vicaire a répondu ne se reconnaître de pouvoirs suffisants que pour le diocèse de Rouen, tandis que la cause se jugeait à raison de notre juridiction de Beauvais et sur son territoire prêté. C’est pourquoi, afin de ne pas invalider le procès et de tranquilliser sa conscience, il avait différé de s’adjoindre à nous jusqu’à plus ample information ou réception de pouvoirs plus étendus de Monsieur l’inquisiteur. Ledit vicaire, toutefois, a déclaré se prêter volontiers à ce que nous continuassions la procédure sans désemparer. FR. J. LEMAÎTRE : Ce que vous exposez est la vérité. J’ai approuve et j’approuve, autant que je puis et qu’il dépend de moi, que vous poursuiviez. [Jeanne est introduite devant l’évêque.] CAUCHON : Jeanne, nous vous requérons, sous les peines de droit, de répéter le serment prêté hier et de jurer simplement et absolument de répondre avec vérité. JEANNE : J’ai juré hier. Cela doit suffire. CAUCHON : Nous vous requérons [derechef] de jurer, attendu que toute personne, fût-ce un prince, requise en matière de foi, ne peut refuser le serment. JEANNE : Je vous ai fait serment hier. Cela doit bien vous suffire. Vous me chargez trop. [CAUCHON : Une fois encore, jurez.] JEANNE : Je jure de dire la vérité touchant la foi. Ensuite, l’illustre professeur en sacrée théologie, maître Jean Beaupère, sur l’ordre et commandement de nous [évêque], interroge comme il suit la prévenue : L’INTERROGATEUR[1] : [Je commence, Jeanne], par vous exhorter à dire, comme vous l’avez juré, la vérité. JEANNE : Vous pourriez me demander telle chose sur laquelle je vous répondrai la vérité et, de telle autre, je ne la répondrai pas. Si vous étiez bien informés de moi, vous devriez vouloir que je fusse hors de vos mains. Je n’ai rien fait que par révélation. L’INTERROGATEUR : Quel âge aviez-vous en quittant la maison paternelle ? JEANNE : Je ne sais. L’INTERROGATEUR : Dans votre jeune âge, aviez-vous appris quelque art ou métier ? JEANNE : Oui, à coudre et à filer. Pour coudre et filer je ne crains femme de Rouen. [L’INTERROGATEUR : N’êtes-vous pas sortie une fois de la maison de votre père ?] JEANNE : Oui-da, par peur des Bourguignons, je partis de la maison de mon père et m’en fus en la ville de Neuf-château, en Lorraine, chez une femme qu’on appelait la Rousse. J’y demeurai quinze jours. [L'INTERROGATEUR : Que faisiez-vous chez votre père ? ] JEANNE : Chez mon père, je faisais le ménage. Je n'allais [guère] aux champs avec les brebis et autres bêtes[2]. L'INTERROGATEUR : Vous confessiez-vous tous les ans ? JEANNE : Oui, à mon propre curé, et quand le curé était empêché, à un autre prêtre. Quelquefois aussi, deux ou trois fois, je pense, je me suis confessée à des religieux mendiants. C'était à Neufchâteau. Je communiais à la fête de Pâques. L'INTERROGATEUR : [Communiez-vous] aux autres fêtes ? JEANNE : Passez outre. [L'INTERROGATEUR : Quand avez-vous commencé à entendre des voix ?] JEANNE : J'avais treize ans quand j'eus une voix de Dieu pour m'aider à me bien conduire. La première fois j'eus grand'peur. Cette voix vint sur l'heure de midi, pendant l'été, dans le jardin de mon père. [L'INTERROGATEUR : Étiez-vous à jeun ?] JEANNE : J'étais à jeun. [L'INTERROGATEUR : Aviez-vous jeûné la veille ?] JEANNE : Je n'avais pas jeûné la veille[3] ? [L'INTERROGATEUR : De quel côté entendîtes-vous la voix ?] JEANNE : J'ai entendu cette voix à droite, du côté de l'église, et rarement elle est venue à moi sans être accompagnée d'une grande clarté. Cette clarté vient du même côté que la voix, et il y a ordinairement une grande clarté. Quand je vins en France, j'entendais souvent la voix[4]. L'INTERROGATEUR : Comment voyiez-vous cette clarté, puisqu'elle se produisait de côté ? JEANNE ne répond rien et passe à autre chose. Puis elle dit : Si j'étais dans un bois, j'entendrais bien ces voix venir. L'INTERROGATEUR : Comment était la voix ? JEANNE : Il me semble que c'était une bien noble voix, et je crois qu'elle m'était envoyée de la part de Dieu. A la troisième fois que je l'entendis, je reconnus que c'était la voix d'un ange. Elle m'a toujours bien gardée. L'INTERROGATEUR : Pouviez-vous la comprendre ? JEANNE : Je l'ai toujours bien comprise. L'INTERROGATEUR : Quel enseignement vous donnait la voix pour le salut de votre âme ? JEANNE : Elle m'enseignait à me bien conduire et à fréquenter les églises. Elle m'a dit qu'il était nécessaire que je vinsse en France. L'INTERROGATEUR : De quelle sorte était cette voix ? JEANNE : Vous n'en aurez pas davantage aujourd'hui sur cela. [L'INTERROGATEUR : La voix parlait-elle souvent ?] JEANNE : Deux ou trois fois par semaine elle m'exhortait à partir pour la France. [L'INTERROGATEUR : Votre père savait-il votre départ ?] JEANNE : Mon père ne sut rien de mon départ. La voix me pressait toujours et je ne pouvais plus durer où j’étais. [L’INTERROGATEUR : Que vous disait la voix ?] JEANNE : Elle me disait que je ferais lever le siège d’Orléans. [L’INTERROGATEUR : Que disait-elle encore ?] JEANNE. : Elle me disait d’aller trouver Robert de Baudricourt, capitaine, et qu’il me donnerait des gens pour cheminer avec moi ; car j’étais pauvre fille, ne sachant ni chevaucher, ni mener guerre. [L’INTERROGATEUR : Continuez.] JEANNE : J’allai chez mon oncle et lui dis que je voulais demeurer chez lui pendant quelque peu de temps, et j’y demeurai à peu près huit jours. Pour lors je dis à mon oncle qu’il me fallait aller à Vaucouleurs, et mon oncle m’y conduisit. Quand je fus à Vaucouleurs, je reconnus le capitaine[5], quoique je ne l’eusse onques vu auparavant ; ce fut par le moyen de ma voix qui me dit que c’était lui. Je dis alors au capitaine qu’il fallait que je vinsse en France deux fois il me repoussa et rejeta ; mais la troisième fois il me reçut et me donna des hommes, Aussi bien la voix m’avait dit que cela serait ainsi. [L’INTERROGATEUR : Parlez-nous touchant le duc de Lorraine.] JEANNE : Le duc de Lorraine manda qu’on me conduisît vers lui. J’y fus et je lui dis que je voulais aller en France. Le duc m’interrogea sur la recouvrance de sa santé. Mais moi je lui dis que de cela je ne savais mie. [L’INTERROGATEUR : Que dites-vous au duc sur le fait de votre voyage ?] JEANNE : Je ne lui fis pas de grandes communications sur le fait du voyage. Je lui demandai de me donner son fils[6] avec des gens pour m’accompagner en France, et que je prierais Dieu pour sa santé. J’étais allée vers le duc sans sauf-conduit de chez lui je revins à Vaucouleurs. [L’INTERROGATEUR : En quel équipage avez-vous quitté Vaucouleurs ?] JEANNE : De Vaucouleurs je m’en fus avec un habillement d’homme, portant une épée que m’avait donnée le capitaine, sans autres armes. J’avais pour mon escorte un chevalier, un écuyer et quatre serviteurs. Je gagnai Saint-Urbain où je pris gîte à l’abbaye. Sur ma route, je rencontrai Auxerre et y entendis la messe à la cathédrale. [L’INTERROGATEUR : Entendiez-vous vos voix pendant votre voyage ?] JEANNE : J’avais alors souvent mes voix avec celle que j’ai déjà dite. [L’INTERROGATEUR : Dites-nous par quel conseil vous prîtes l’habit d’homme ?] [JEANNE : Passez outre.] [L’INTERROGATEUR Mais répondez donc ?] [JEANNE : Passez outre.] [L’INTERROGATEUR : Est-ce un homme qui vous le conseilla ?] JEANNE : De cela je ne charge homme quelconque[7]. L’INTERROGATEUR : Que dit Baudricourt, le jour de votre départ ?] JEANNE : Robert de Baudricourt fit jurer à ceux qui m’accompagnaient de bien et sûrement me conduire. A moi, il me dit : « Va », et au moment du départ : « Va, et advienne que pourra » ! [L’INTERROGATEUR : Que savez-vous du duc d’Orléans qui est prisonnier en Angleterre ?] JEANNE : Je sais que Dieu aime le duc d’Orléans. J’ai eu plus de révélations sur son fait que touchant homme qui vive, excepté mon seigneur le roi., [L’INTERROGATEUR : Dites maintenant pourquoi vous avez pris un habillement d’homme ?] JEANNE : Il a fallu changer mon habillement de femme et m’habiller en homme. [L’INTERROGATEUR : Votre conseil vous l’a-t-il dit ?] JEANNE : Je crois que mon conseil, en cela, m’a bien avisée. [L’INTERROGATEUR : Que fîtes-vous à l’arrivée à Orléans ?] JEANNE : J’ai envoyé une lettre aux Anglais qui étaient devant Orléans. Elle leur disait qu’ils partissent, comme il est porté en la copie de ladite lettre qui m’a été lue en cette ville de Rouen. Sauf deux ou trois mots qui sont dans la copie et pas dans la lettre. Ainsi est dit dans la copie : « Rendez à la Pucelle » ; il faut y mettre «Rendez au roi ». Il y a aussi ces mots : « corps pour corps » et « chef de guerre », qui n’étaient pas dans ma lettre à moi[8]. [L’INTERROGATEUR : Racontez ce qui est du fait de la rencontre avec votre prétendu roi.] JEANNE : J’arrivai sans empêchement auprès de mon roi. Étant au village de Sainte-Catherine de Fierbois, je commençai par envoyer au château de Chinon, où était le roi. J’y fus’ à midi et me logeai dans une hôtellerie. Après le dîner, j’allai vers le roi, qui était dans le château.[9] [L’INTERROGATEUR : Qui vous montra le roi ?] JEANNE : Quand j’entrai dans la chambre du roi, je le reconnus entre les autres, par le conseil et révélation de ma voix, et lui dis que je voulais aller faire la guerre aux Anglais. L’INTERROGATEUR : Lorsque la voix vous désigna votre roi, y avait-il quelque lumière ? JEANNE : Passez outre. L’INTERROGATEUR : Y avait-il là quelque ange au-dessus de votre roi ? JEANNE : Épargnez-moi ; passez outre. [L’INTERROGATEUR : Répondez donc.] JEANNE : Plus d’une fois, avant que mon roi me mît en œuvre, il eut des révélations et de belles apparitions. L’INTERROGATEUR : Quelles révélations et apparitions a eues votre roi ? JEANNE : Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Ce n’est pas encore à répondre. Envoyez vers le roi, et il vous le dira. [L’INTERROGATEUR : Comptiez-vous être reçue par le roi ?] JEANNE : La voix m’avait promis que le roi me recevrait aussitôt après ma venue. Ceux de mon parti reconnurent bien que cette voix m’avait été envoyée de par Dieu ; ils ont vu et reconnu [la voix], je le sais bien. [L’INTERROGATEUR : De qui parlez-vous ?] JEANNE : Mon roi et plusieurs autres ont vu et entendu les voix venant à moi ; là était Charles de Bourbon avec deux ou trois autres. [L’INTERROGATEUR : Entendez-vous souvent la voix ? JEANNE : Il n’est pas de jour que je ne l’entende, et aussi en ai bien besoin. [L’INTERROGATEUR : Que lui demandiez-vous ?] JEANNE : Je ne lui ai jamais demandé autre prix final que le salut de mon âme. [L’INTERROGATEUR : La voix vous encourageait-elle à suivre l’armée ?] JEANNE : Ma voix m’a dit que je persistasse devant Saint-Denys en France. J’y voulais rester. Mais, contre ma volonté, les seigneurs m’emmenèrent. Si pourtant je n’eusse été blessée, je ne me fusse retirée. [L’INTERROGATEUR : Où fûtes-vous blessée ?] JEANNE : C’est dans les fossés de Paris, quand j’y vins de Saint-Denys, que je fus blessée. En cinq jours je me trouvai guérie. [L’INTERROGATEUR : Qu’avez-vous entrepris contre Paris ?] JEANNE : Je fis faire une démonstration — en français escarmouche — devant la ville de Paris. L’INTERROGATEUR : Était-ce jour de fête ? JEANNE : Je crois bien qu’oui. L’INTERROGATEUR : Était-ce bien fait d’attaquer un jour de fête ? JEANNE : Passez outre.
Ceci ayant eu lieu, estimant que c’en était assez pour ce jour, nous, évêque, avons remis l’affaire au lendemain samedi, huit heures du matin [1] « Selon l’usage et comme l’indiquent divers témoignages du procès de révision, outre l’évêque et l’interrogateur spécial nommé par lui, les assesseurs, particulièrement les six docteurs de l’Université de Paris, interrogeaient Jeanne. En général, les procès-verbaux du procès de condamnation ne précisent point par qui sont faites les questions adressées à Jeanne dès lors il est entendu que, dans tout le cours des interrogatoires, cette rubrique : l’interrogateur, pourra désigner, en même temps que l’interrogateur attitré, des interrogateurs quelconques. » (Note de M. J. Fabre.) [2] On reviendra plus loin sur cette question, que le texte donne ici d'une façon un peu obscure. [3] Je suis ici l'interrogatoire d'après M. J. Fabre. Le procès-verbal omet les mots : et tunc erat jejuna qu'on trouve dans l'extrait du procès-verbal du 22 février à la suite de l'article 10 du réquisitoire. Le texte de J. Quicherat est fautif, il omet non dans cette phrase : et ipsa Johanna non jejunaverat die praecedenti, Vallet de Viriville, p. 36, a traduit : j'avais jeûné la veille. Sainte-Beuve avait également adopté cette traduction. [4] L'extrait du procès-verbal porte magnam vocem audiebat au lieu de illam vocem audiebat. [5] Robert, sire de Baudricourt. [6] C’est-à-dire son beau-fils, René d’Anjou. [7] Le texte relate ainsi cette partie de l’interrogatoire : « Item requise de déclarer par quel conseil elle avait pris l’habit d’homme, à cela elle refusa à plusieurs reprises de répondre. Finalement elle dit que là-dessus elle ne donnait de charge à personne ; et elle varia plusieurs fois. » [8] Cf. J. Quicherat, Procès, t. I, p. 55, note 2. Jeanne avait dicté sa lettre, et sans doute son secrétaire aura ajouté ces mots à son insu. La concordance des copies citées par les hommes du parti français et par les hommes du parti anglais témoigne que la copie lue à Jeanne n’avait pas été falsifiée. [9] Au procès de réhabilitation, les dépositions des témoins, notamment celle de Dunois, nous apprennent que Jeanne dut attendre deux jours avant d’être admise devant le roi. |
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